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Cédric TASSAN

Cédric, à un relais au bec de Sormiou, Calanques, août 2003.

D'abord mon frère, ce joyeux personnage, professeur de maths, varie les activités, du ski au VTT, en passant par la rando, l'alpinisme, le parapente et le canyoning. Il est toujours partant pour de nouvelles aventures. Véritable corbeau noir du VTT, il est le cauchemar des autres praticants qu'il croise et distingué maintenant par un bel ouvrage paru aux éditions de l'envol. Bourrin par excellence, il casse les skis, arrache les vieilles sangles, ouvre les cadres de vélo en deux. Il est devenu un pur marseillais, plus souvent torse nu dans les calanques qu'accroché aux pentes des Alpes.

Chamonix, mai 1997

1997, une grande année. C'est pour moi ma première saison soutenue de montagne en autonomie. 30000m à skis de rando c'est bien pour un marseillais (d'adoption). En moyenne, une (grande) voie d'escalade par semaine, souvent avec le frangin, et je commence à bien maîtriser le matos en même temps qu'avoir la santé. J'ai gravi le mont Blanc par les Grands Mulets en avril mais sans skier le sommet. Cédric n'y est jamais allé. Pour l'Ascension, nous décidons d'en faire la traversée, afin d'emporter les skis au sommet. Nico se joint avec nous pour la partie acclimatation mais doit nous quitter pour la suite, boulot oblige.
J1 : Aiguille du Midi : vallée Blanche. Une grande flemme nous pousse à traîner en altitude sans forcer. Descente encordée dans les crevasses du Requin tellement c'est truffé de pots (nous sommes fin mai). Puis l'orage qui arrive. Remontée express sous la grêle et les chutes de pierres au refuge de Leschaux. Bof !
J2 : Partis pour le mont Mallet, l'énorme rimaye nous dissuade d'aller plus haut. Je manque de peu, en faisant le con, de rejoindre son fond et c'est ainsi que nous nous rabattons sur le col des Périades. Les 10cm posés par l'orage de la veille sont collants à la descente : pas du grand ski. Nico rentre chez lui comme prévu. Re-orage le soir. Re-bof !
J3 : Grand beau le matin et superbe regel mais nous passons à côté d'une sortie, pressés de remonter aux Cosmiques. Descente sur Cham, prise de météo et préparation du matos pour le grand jour. Au vu des conditions, on nous déconseille d'y aller. La trace n'a pas été refaite depuuis les deux jours d'orage, y'a de la neige fraîche, du vent fort est annoncé. On se tate. Deux journée moyennes, le séjour est un peu gâché. On n'a pas envie d'un nouveau but. C'est décidé, on se casse. C'est alors que compte tenu du beau temps qu'il fait, nous décidons d'aller pic-niquer sur le parking du Brévent, face au sommet de nos convoitises. Je n'arrête pas de le regarder aux jumelles. Aujourd'hui, je ne me souviens plus comment cela s'est passé mais cette situation est fréquente en montagne : il faut parfois y croire et faire le vide... et ça passe, laissant de côter les doutes parfois injustifiés qui plannent dans nos têtes. En tous cas, l'un de nous a regardé l'autre et a dit : on est là, il fait beau, on n'est pas des merdes, on va le torcher ce sommet ! Dès lors, plus aucun doute n'existe : on l'aura, c'est sûr.
Et c'est ainsi que contre toute attente, nous préparons les sacs, montons aux Cosmiques et, après un coucher de soleil des plus beaux, nous couchons à 3600m d'altitude pour quelques heures. A 3h, le départ est rude mais réel. Nous sommes peu nombreux : un gars tout seul à skis, un guide et sa cliente plus un autre guide et ses deux clients. Nous sommes les derniers. Le Tacul se gravit lentement dans la nuit pour ne pas se griller. A l'aube, nous attaquons le Maudit après avoir dépassé le guide et sa cliente lors d'une pause. Dans le mur du col du Maudit, la pente est raide et glacée et nous rattrapons les cordées qui nous précédaient. Regroupement au col de la Brenva où le gars en solo abandonne, fatigué (il s'était fait un Tacul la veille au soir). Au mur de la Côte, le guide et ses deux clients chaussent les skis et disparaissent vers l'aval par le Corridor. Par chance, nous nous étions arrêtés avant et nous ne les avons pas vu descendre. Mais leurs traces nous l'indiquaient. Si nous les avions vus, nous aurions fait comme eux à coup sûr : l'altitude se fait sentir, il faut tracer dans 30 de poudre soufflée et il fait très froid avec un vent à plus de 50 km/h. On en a plein les bottes ! Aujourd'hui encore, je me demande comment on a fait pour aller au sommet. Je me souviens que ce qui nous a sauvé, c'est la corde qu'on avait eu la flemme d'enlever après le mur du Maudit. A chaque fois que l'un voulait abandonner, l'autre le relançait en l'encourageant. J'avais même dit à Cédric : on avance de 50 pas en 50 puis on se repose. A un moment, je tente d'en faire un 51ème mais là la corde se tend et Cédric me gueule après : putain, ça fait 50 ! Le bougre, il comptait et comptait juste. Ca n'en finissait pas. Bien sûr, on était un peu juste physiquement, mal acclimatés et les conditions étaient pénibles. Mais bon, on s'est arrachés ! Je me revois lever la tête et voir cette saloperie de dôme sommital toujours aussi loin. Et puis, il est apparu, d'un coup, là, tout près. On a courru, jusqu'à épuisement, pour tomber au sommet, le coeur battant à 180 au moins ! Heureux, seuls (rare au mont Blanc), conscients, d'être allé chercher loin dans les réserves. Ce genre de sommets, ça vous marque, même si depuis je l'ai gravi en solo par le même itinéraire depuis la première benne de l'aiguille du midi, en à peine 4h, en doublant des tas de piétons et en hurlant de plaisir dans la face nord gavée de poudre, bref en brisant les mythes ! Même si depuis, j'ai fait des trucs autrement plus difficiles. Cela reste et restera un immense souvenir. Bien sûr, une fois au sommet, on se regarde, on pleure même, on se dit qu'on arrête la montagne, que c'est trop dur. Le lendemain, évidemment c'était reparti ! On est tous passés par là.