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Avalanche de Côte-Belle (30 octobre 2003)

 

Après une fin de saison 2002 stoppée précocement pour cause de canicule, la neige est revenue en force ces jours-ci. Pour Volodia et moi, c'est déjà la quatrième ou cinquième sortie. Serge rechausse les skis pour la première fois cet automne 2003. Il n'est pas très motivé à randonner seul, aussi n'hésite-t-il pas à faire un peu de route depuis son domicile haut-alpin pour se joindre à nous qui avons envisagé une sortie du côté de l'eau d'Olle.

Nous voici tous les trois sur la route. Petite hésitation en voyant le Grand Serre blanc puis nous restons sur l'idée de départ : le versant nord ou ouest de Côte-Belle ou des Aiguillettes de Vaujany. Volo nous dit que c'est souvent du bon ski mais qu'il faut se méfier, plusieurs accidents d'avalanche ont déjà eu lieu sur cette montagne.

Le créneau de beau temps annoncé est là, la neige aussi. Déjà 15cm au Rivier-d'Allemont, près de 45cm de fraîche au barrage de Grand Maison où nous arrivons vers 11h, un peu plus tard que prévu, contraints de suivre le chasse-neige qui ouvre le col ce jour-ci, juste devant nous.

La quantité de neige est bien supérieure à ce que nous pensions mais puisque nous sommes là, nous allons aller voir plus haut. Nous chaussons les skis et attaquons la combe nord des aiguillettes. Tout se passe bien jusque vers 2000 m où les doutes commencent dans nos têtes mais sans vraiment que nous en parlions sérieusement. Serge, qui se relaye avec moi pour faire la trace est alors devant et me demande où il faut passer, Volo juste en retrait, me dit que Jacques Villecrose de Météo France s'est fait piéger par ici. Je propose de rejoindre un replat sous le sommet de Côte-Belle puis de suivre une épaule à droite qui mène à l'arête entre le col du Sabot et le sommet-même. Il y a bien un petit passage un peu plus raide mais il est orienté sud-ouest : il y a moins de neige et c'est très court. Cela ne m'inquiète pas. Arrivé au dernier replat 150m sous le sommet, Serge s'arrête et attend. Je le rejoins puis Volo. Nous sommes sur une plate-forme où nous avons le temps de décider de la suite.

Enfin, le temps… Ce qui m'inquiète c'est que la perturbation annoncée semble arriver plus tôt que prévu. Rien de grave encore mais c'est « jour blanc ». Le plus raisonnable serait de rejoindre en face l'arête puis éventuellement le sommet par celle-ci. Le ski s'annonce peu intéressant. Je décide de tracer la partie inférieure de la dernière pente et de rejoindre l'arête un peu plus haut. Serge acquiesce. Volo, toujours sur le ton de l'humour, me dit que si je veux déclencher la plaque, il faut que je reste dans le bombé. Le ton est à la plaisanterie. Pourtant il a un doute sur la stabilité de la pente. Pour ma part, c'est également le cas mais je me persuade que si ça part, ce ne devrait être que petite coulée ; il y a des replats et pas mal de reliefs qui paraissent être des zones de sécurité. Nous laissons de l'espace entre nous. Première conversion, le doute augmente. Je préviens « C'est plaqué ! ». J'hésite à redescendre avec les peaux. Pourquoi ne l'ai-je pas fait ? Je rejoins un replat où j'attends la progression de Serge et Volodia.

Tout le monde a franchi le petit raidillon qui m'inquiétait. Je traverse à droite pour rejoindre l'arête salutaire pendant que Serge et Volo attendent à bonne distance. Je me rapproche de l'arête que je suis pressé d'atteindre. Elle n'est plus très loin. Je rajoute « putain j'aime pas ça » Tout à coup, c'est le craquement. Un bruit sourd. Sous le sommet de Côte-Belle, la pente se craquelle. Toute la face se met en mouvement. Une grosse plaque s'est détachée et plonge sur nous. Je m'aperçois immédiatement que je vais être épargné mais pas eux. Je crie « barrez-vous ». Serge crie « où ça, où ça ? » Je ne sais pas quoi répondre. Pour moi, c'est évident, ils vont être balayés. Volo se met à crier, je comprends et vois qu'il est emporté. Rapidement, la coulée s'immobilise sur le replat en contrebas. Volo me crie « ça va, ça va ! ». Il était en bordure de la coulée et s'est dégagé rapidement. Heuresement que nous avons pris nos distances.

État des lieux : Serge a disparu. Évidence : il est « dessous ». « Putain, quel con quel con ! »

Volo me crie « c'est trop tard, ça sert à rien, maintenant il faut le retrouver. Je commence la recherche, appelle les secours ». Je sors le portable et appelle. J'explique la situation et le lieu au PGHM. Un hélicoptère va décoller le plus vite possible. Je rejoins Volo. Nous savons que le temps compte et passé une demi-heure, les chances sont sérieusement amputées. Volodia n'a toujours pas le signal de Serge. Je le rejoins et regarde le terrain. Toute la face est descendue avec force. C'est sûr, il est en bas, là où la plaque s'est accumulée, il ne peut pas être resté dans la pente. Par sécurité, Volo continue lentement de parcourir la pente balayée. Moi, j'encape en bas avec l'ARVA espérant trouver un signal. « Je l'ai, je l'ai, viens-vite, lui dis-je ! Il est en bas ! »

Je descends assez vite tout droit tant que le signal augmente. L'ARVA numérique de Volo nous indique la distance : 10 mètres, 8 mètres, 6 mètres, 3 mètres, 4 mètres, 3 mètres… On n'est plus très loin. On n'a plus le choix : il faut déchausser les skis avec le risque que cela comporte en cas de nouvelle coulée. De toutes façons, le gros est parti et puis il y a un impératif qui passe au-dessus de tout : sauver Serge si on le peut encore. Volo, qui a déjà vécu ce genre d'expérience, canalise toute son énergie dans la recherche. Par moments je craque. « C'est pas le moment de te poser toutes ces questions, il faut le retrouver, on en reparlera après me dit-il. » La méthode en croix nous amène à 2m de l'ARVA de Serge. C'est assez imprécis. C'est une évidence, il est profond. Nouveau coup au moral mais Volo est là pour me redonner du courage. « Je sors la sonde, calme-toi, je suis resté 30 minutes sous une coulée moi, ça ne fait encore qu'un petit quart d'heure ! » Un petit quart-heure effectivement depuis le déclenchement du cataclysme. Et qui paraît déjà si long !

J'empoigne la sonde, je suis pressé. Rien à faire, je ne touche rien, ça descend à 2 mètres 40 dans la coulée de partout. Nous vérifions avec nos ARVA. Il est là. Putain, et s'il n'y avait que l'ARVA et pas le bonhomme ! Ce n'est pas possible ! Je sors la pelle et commence à creuser. Dans ces moments, on est vraiment pressé et il est vite fait de perdre du temps en croyant en gagner. « Arrête me dit Volo, affine avec ton analogique, il faut le trouver à la sonde avant, on perd du temps ! » Re-vérification. Il est LA ! Volodia enfonce doucement la sonde. Bingo ! Il y a quelque chose de dur, là, à 1m60 alors qu'autour, ça descend à 2m40. On se regarde. « On y va ».

Pour la troisième ou quatrième fois depuis que nous sommes sur le lieu présumé de son enfouissement, persuadé que Serge est peut-être conscient là-dessous je lui crie « T'inquiète pas mon gars, tiens-bon, on va te sortir ! ». Pourtant, je ne cesse de me répéter dans ma tête : « et si c'était déjà trop tard ». J'en fais même part à Volo « Creuse me dit-il, t'occupe pas de ça. Il faut creuser bien en arrière pour faire un gros cratère, n'oublie pas qu'il est profond ! ». Les minutes passent. C'est très difficile. On creuse avec toute notre énergie. C'est dur. « J'veux pas l'savoir dit Volo, tu creuses et tu t'arrêtes pas ». 20 minutes déjà depuis le début des hostilités. Serge est encore plus de 50 cm sous la neige. Je découvre comme la partie de pelle est longue. Dans nos entraînements à la recherche d'ARVA, somme-toute bien rares, l'appareil est toujours à faible profondeur, pas de stress… Rien à voir.

Soudain, ça y est, j'ai touché. Là, il y a quelque chose de dur. C'est un ski. Je ressors l'ARVA pour situer Serge. Il est sur le côté. On creuse encore un peu puis on entend un râle. Écoute, il respire. On dégage un vêtement gris. C'est quoi ? Sa polaire ? Bizarre ! Non, c'est son bonnet. Putain, c'est la tête, il respire. On dégage entièrement la tête puis un bras. Le bras est inerte, inquiétant. Pourtant, il cligne des yeux. Volodia essaye de prendre le pouls pendant que je continue à la dégager mais il y renonce rapidement. Nous respirons nous-même trop fort. Impossible de prendre quoi que ce soit. De toute façon, il respire, il y a donc un pouls. Volo se rappelle : « j'ai repris connaissance après dégagement complet du thorax, il faut lui dégager le thorax pour qu'il puisse respirer ! ».

30 minutes après le dégagement jusqu'à la taille, Serge tourne la tête. « Ça va, ça va Lionel ». Il voit mon inquiétude. « Ça va, je vais bien, ne t'inquiète pas ! ». On continue à le dégager. Serge se plaint d'avoir froid. Volo prend maintenant le relais car on se gène pour creuser. Le trou est profond et la place manque. Je rappelle le PGHM qui me demande les conditions météo. Le temps est couvert et la visibilité moyenne ; néanmoins, il n'y a pas de brouillard. L'hélico est en route. Volodia retrouve ses réflexes de journaliste et prend quelques photos pendant que je donne les derniers coups de pelle. « Excusez-moi d'être chiant mais j'ai froid, si vous pouvez vous dépêcher dit Serge ! » . Quel bonhomme tout de même qui, après être passé à côté du pire, s'excuser d'être vivant ! On en rigole déjà. Ça y est, il est debout, 40 minutes après le départ de la coulée. Volo le réchauffe. Je rassemble toutes les affaires, retire les peaux toujours sur les skis, creuse encore pour récupérer les skis de Serge. On va rentrer par nos propres moyens. Je prends le sac de Serge. Volo entame la descente lentement, Serge le suit à vitesse de tortue. Il est faible. Si l'hélico arrivait, ce serait mieux.

Ce n'est pas un hélico qui arrive mais deux. Apparemment, le PGHM de Modane est là aussi, pour donner un coup de main avec leur chien aux hommes du Versoud (à côté de Grenoble) si besoin est. L'appareil rouge descend posément, lentement. Nous sommes sur un terrain peu pentu mais l'atterrissage n'est pas possible. Le commandant Pierre Durand est déposé par le treuil. Il se rapproche.

« Y'a encore quelqu'un sous l'avalanche ?

- Non, non, c'est bon, on est tous là. Il n'est pas capable de redescendre de lui-même, lui disons à propos de Serge.

- Il a perdu connaissance ?

- Oui répond Serge

- OK »

Pierre engage alors une discussion avec l'hélico.

« On vous emmène avec, nous dit-il ?

- Non, non, on n'a rien, on descend à ski ! »

Le dialogue continue

« Bon, on va le treuiller et le déposer au Rivier où le médecin attend. Ils reviendront ensuite me chercher, vous restez là pour faire un point de repère à l'hélico. Quand vous êtes à la bagnole, vous nous passez un coup de fil pour nous dire que tout va bien puis vous venez nous voir à la base du Versoud.

- OK »

 

Après la disparition de l'hélico, nous descendons avec prudence, en laissant un grand espace entre nous dans les petites pentes du bas qui nous paraissaient débonnaires à la montée. Voiture. Je craque. « C'est bon, me dit Volo, on l'a sauvé !!!

 

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