Trois
semaines après l'avalanche de Côte-Belle,
Volodia Shahshahani a mis en ligne sur son site
(www.volopress.fr)
quelques éléments de réponse aux
questions qui ont été posées sur
l'accident. A mon tour, voici une petite réflexion,
à froid, après mon premier texte publié
à chaud sur mes pages et se contentant de
décrire faits et émotions durant
l'action. Tout
d'abord, je dois remercier toutes celles et tous ceux qui
m'ont soutenu après la coulée. De vive voix au
téléphone ou autour d'un apéro, par
mail, par des liens internet... ; vous avez
été nombreux à être
présents quand il le fallait. Parmi ces
réactions, des témoignages d'amitié, de
présence mais aussi des questions. Toutes celles et
ceux qui pratiquent la même activité savent
qu'ils peuvent se trouver confrontés à cette
situation. Vous avez dû tous vous imaginer là,
arva à la main puis creusant à la pelle avec
le stress qu'il soit déjà trop tard. Des
questions légitimes pour comprendre comment cela a pu
arriver, pour essayer de ne pas vivre la même chose.
Mais aussi, à la fois de la part de non pratiquants,
de néophytes et d'expérimentés, des
réactions plus tranchées et l'éternelle
question : pourquoi sont-ils sortis ce jour-là
ou pourquoi sont-ils allés
là-bas ? Alors
voilà quelques éléments de
réponse en compléments de ceux de Volodia. Il
ne s'agit pas de juger du risque que nous avons pris.
L'erreur, grave, est indiscutable ; la sanction
bégnine également. Non, cette reflexion a pour
but d'éclairer sur ce qui amène à se
retrouver là, sur une plaque. La
semaine précédent la
sortie.
La neige est déjà bien présente sur les
pentes de Belledonne depuis le début octobre. Elle
vient d'arriver en force sur les Alpes du sud. Pour moi, ce
sont les vacances de Toussaint. Les prévisions
météo sont fausses : le premier week-end des
vacances est carrément au beau. Je n'en profite qu'un
seul jour : une sortie exceptionnelle du
côté du Lautaret. Les autres jours sont
déjà occupés par ailleurs. Mardi et
mercredi, c'est le mauvais temps. Et à priori, c'est
rebelotte vendredi. Les précipitations
annoncées sont de sud et les quantités
attendues faibles. Jeudi, nous profiterons du créneau
pour un couloir raide dans le briançonnais,
plutôt qu'une pente large plus sujette aux plaques.
Serge est partant pour ce plan. Le
mercredi, J-1.
Mardi a été couvert mais pas une seule goutte
sur Grenoble. Aujourd'hui, il fait frais et quelques gouttes
de pluie tombent l'aprés-midi sur la
préfecture iséroise. On reste sur un couloir
plein nord, encaissé et raide sauf si les chutes ont
été plus importantes que
prévues. Bulletin
météo du mercredi
soir.
On annonce une cinquantaine de centimètres de neige
fraîche sur les Hautes-Alpes mais la nuit devrait
être claire. Le créneau de beau pour le
lendemain est confirmé avant l'arrivée de la
pluie par le sud en fin de journée. Nous convenons
avec Serge de repousser le projet. Je le rappellerai dans la
soirée pour proposer un plan de repli. Au vu des
précipitations sur Grenoble, j'oublie
Belledonne : il faut porter jusqu'à 1700 m et
mis à part Chamrousse, les départs sont trop
bas. C'est alors que me vient l'idée de l'Eau-d'Olle.
Souvent, quand les précipitations viennent du sud,
Belledonne est et les Rousses en profitent un peu. Sur la
page web de la DDE, le col du Glandon est annoncé
ouvert. Il n'a donc pas dû trop neiger là-bas.
Ce peut être un bon compromis entre le nord, peu
enneigé, et le sud, trop récemment
arrosé et copieusement. Serge acquiesce. Rendez-vous
pris à Vizille le lendemain matin et de là, on
verra. Le
choix de la course.
Je laisse tomber Belledonne est : les départs
sont trop bas. Il reste le glandon. Connaissant assez bien
le secteur d'Argentière, j'opte pour le versant
Rousses au départ du barrage. Une balade dans la
poudre du côté des Aiguillettes. Je n'ai jamais
fait la course ; comme presque toujours j'essaye de
faire des trucs nouveaux. Je n'ai pas de pneus-neige encore
sur la voiture, aussi, si la route est un peu
enneigée, il restera l'accès depuis Vaujany et
la route du Sabot. Je passe chez Volodia le soir et lui fait
part du plan du lendemain. Il propose de se joindre à
nous. Jour
J. La Route.
Le brouillard ne laisse apercevoir la chaîne des
Rousses qu'à partir d'Allemont. Ca semble blanc. 15
centimètres au Rivier-d'Allemont. Le chasse-neige est
juste devant nous. Le paysage est superbe ; on en
profite. Coup de pelle pour faire sa place à
Grand-Maison : il y en a quarante centimètres.
Volodia commence alors à nous parler des quelques
accidents qui ont eu lieu sur ces pentes et de
son renoncement l'année
précédente en novembre quelques 200
mètres sous le sommet. Cela ne remet pas en cause la
course : on chausse et on démarre. Comme d'habitude :
on verra sur place. La
course.
Je n'ai pas grand chose à rajouter sur les
récits (le mien et celui de Volodia) publiés
sur nos sites web respectifs. Deux choses sont
certaines : Commentaires 1
- Nous le savons bien : le danger est présent
partout et malheureusement, nous commettons tous des erreurs
(que celui qui n'a jamais me jette la première
pierre). 2
- Nous le savons aussi : il est plus facile de
continuer que de renoncer quand on a un doute qui n'est pas
assez fort ce qui était le cas 5 minutes avant de
nous rendre compte que nous marchions, ou plutôt
"phoquions", sur des ufs. 3
- J'avais envie de sortir. J'étais en vacances depuis
une semaine et je n'avais chaussé les skis qu'une
seule fois alors que la neige était bien
là. 4
- Au vu des conditions météo des jours
passés et du bulletin de prévisions, rien ne
laissait présager une telle chute dans ce secteur
avant de partir, alors pourquoi ne pas aller y faire un tour
même en connaissant le passé avalancheux de ce
coin ? Dans tous les cas, l'attitude "pro" me semble
être d'aller voir sur place et de renoncer en cas de
doutes plutôt que de généraliser en
s'interdisant tel ou tel endroit à partir d'un seuil
de danger évalué à distance.
5
- Le principal problème est d'être capable de
juger, sur le terrain, jusqu'où l'on peut continuer.
Et compte tenu du caractère aléatoire de la
stabilité de la neige... Il reste donc deux
attitudes. Soit on fait comme les anciens qui pratiquaient
le "ski de printemps" et l'on ne peut être ni
professionnel de la montagne, au sens premier du terme, ni
expérimenté amateur car on évolue sur
un terrain limité, soit on accepte les règles
du jeu avec la possibilité de se faire "nettoyer" par
une plaque friable dans 20cm de poudre et en étant le
centième skieur à descendre la
pente. 6
- Dans la deuxième attitude, il y a bien sûr
risques et risques. Entre le gars qui n'a pas de chance et
celui qui se fait embarquer dans un mètre de poudre
dans les pentes sommitales suspendues à 40° du
Combeynot classique, il y a des tas de comportements
différents je le conçois. Dans notre cas, nous
aurions dû tout simplement renoncer au sommet avant la
pente finale. Nous avions d'ailleurs rapidement
décidé de ne pas aller aux Aiguillettes mais
d'essayer Côte-Belle si nous pouvions trouver un bout
de pente à peu près sûr pour finir. Ce
jour-là, l'erreur que nous avons commis est
uniquement de n'avoir pas tiré vers l'arête 50
m plus bas au niveau d'un bon replat. 7
- Volodia dit assumer pleinement la responsabilité de
l'accident parce que le plus "ancien" et connaissant les
lieux. Je reconnais personnellement avoir sous-estimé
le danger sur ce bout de pente. Et pourquoi ? Anatole
France disait : "il est dans la nature de l'homme
de penser sagement et d'agir de façon absurde". Je
faisait la trace et je me sens le premier coupable. Si j'ai
un peu paniqué dans la recherche de Serge, je pense
que c'est en partie parce que je me sentais premier
responsable du cataclysme. 8
- Beaucoup nous ont dit bravo pour le sauvatage. Mais si
effectivement Volodia a été, pour moi une
présence psychologique importante, je pense que de
toutes façon, on n'a pas eu le choix. N'importe quel
autre skieur qui a le matériel adéquat et qui
sait s'en servir aurait fait la même chose. Tu
cherches avec l'Arva comme t'as appris. Tu te rends compte
que c'est plus long que ce que tu croyais mais tu t'en fous.
Tu cherches. Puis tu creuses comme un dingue. Et là,
ça va plus vite qu'à l'entraînement. Le
reste (rapidité de la localisation précise
à la sonde et survie du bonhomme en-dessous) ne
dépend plus de celui (ceux) qui
recherchent. 9
- Cette épreuve aura apporté un certain nombre
d'enseignement à tous, mais c'est l'occasion de
l'ouvrir sur autre chose. Pourquoi les alpinistes
expérimentés se font souvent "avoir" lors de
sorties "faciles" ? Est-ce un excès de confiance
en se disant qu'après avoir engagé, que
peut-il nous arriver sur des pentes débonnaires
près de la voiture (ce qu'on pourrait appeler un
excès d'enthousiasme) ? Est-ce une
momentanée perte de bon sens due à la
difficulté de renoncer ? Est-ce parce que l'on n'a
pas suffisament peur ? Sans doute un peu des trois. Les
malheureux accidents arrivés aux plus grands
alpinistes comme Vallençant pour une histoire
d'encordement sur une falaise école, Haston lors
d'une rando à skis derrière la maison,
Chantriaux lors d'un vol en parapente dans le
briançonnais ou plus récemment De Chouldens
sous une corniche sur un sommet d'acclimatation doivent nous
faire réfléchir. Un débutant (sauf un
inconscient bien sûr) n'oubliera pas de faire son
nud d'encordement, n'ira pas à Côte-Belle
dans 80 de poudre. Garder tout son bon sens au Charmant Som
comme à l'Infernet. Merci
à tous, votre soutien est précieux. Faites
gaffe à vous et bonne saison de ski.
1 - Volo a plusieurs fois mis en avant qu'il fallait se
méfier de ces pentes mais sans suffisamment
insister .
2 - Nous nous sommes rendus-compte qu'il y avait une plaque
sous nos skis trois minutes avant qu'elle ne parte et il n'y
avait pas à pinailler : d'abord s'espacer
(c'était déjà le cas depuis le bas de
la pente), et ensuite progresser un à un. Nous avions
alors le choix entre redescendre ou s'échapper vers
l'arête en espérant que ça tienne le
temps de l'une ou l'autre des manuvres. Rien ne dit
que l'autre solution (nous avons décidé de
rejoindre l'arête) n'aurait pas donné le
même résultat. L'erreur était
déjà faite.