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Grenoble, 20 novembre 2003, J+21

 

Trois semaines après l'avalanche de Côte-Belle, Volodia Shahshahani a mis en ligne sur son site (www.volopress.fr) quelques éléments de réponse aux questions qui ont été posées sur l'accident. A mon tour, voici une petite réflexion, à froid, après mon premier texte publié à chaud sur mes pages et se contentant de décrire faits et émotions durant l'action.

Tout d'abord, je dois remercier toutes celles et tous ceux qui m'ont soutenu après la coulée. De vive voix au téléphone ou autour d'un apéro, par mail, par des liens internet‚... ; vous avez été nombreux à être présents quand il le fallait. Parmi ces réactions, des témoignages d'amitié, de présence mais aussi des questions. Toutes celles et ceux qui pratiquent la même activité savent qu'ils peuvent se trouver confrontés à cette situation. Vous avez dû tous vous imaginer là, arva à la main puis creusant à la pelle avec le stress qu'il soit déjà trop tard. Des questions légitimes pour comprendre comment cela a pu arriver, pour essayer de ne pas vivre la même chose. Mais aussi, à la fois de la part de non pratiquants, de néophytes et d'expérimentés, des réactions plus tranchées et l'éternelle question : pourquoi sont-ils sortis ce jour-là ou pourquoi sont-ils allés là-bas ?

Alors voilà quelques éléments de réponse en compléments de ceux de Volodia. Il ne s'agit pas de juger du risque que nous avons pris. L'erreur, grave, est indiscutable ; la sanction bégnine également. Non, cette reflexion a pour but d'éclairer sur ce qui amène à se retrouver là, sur une plaque.

La semaine précédent la sortie. La neige est déjà bien présente sur les pentes de Belledonne depuis le début octobre. Elle vient d'arriver en force sur les Alpes du sud. Pour moi, ce sont les vacances de Toussaint. Les prévisions météo sont fausses : le premier week-end des vacances est carrément au beau. Je n'en profite qu'un seul jour : une sortie exceptionnelle du côté du Lautaret. Les autres jours sont déjà occupés par ailleurs. Mardi et mercredi, c'est le mauvais temps. Et à priori, c'est rebelotte vendredi. Les précipitations annoncées sont de sud et les quantités attendues faibles. Jeudi, nous profiterons du créneau pour un couloir raide dans le briançonnais, plutôt qu'une pente large plus sujette aux plaques. Serge est partant pour ce plan.

Le mercredi, J-1. Mardi a été couvert mais pas une seule goutte sur Grenoble. Aujourd'hui, il fait frais et quelques gouttes de pluie tombent l'aprés-midi sur la préfecture iséroise. On reste sur un couloir plein nord, encaissé et raide sauf si les chutes ont été plus importantes que prévues.

Bulletin météo du mercredi soir. On annonce une cinquantaine de centimètres de neige fraîche sur les Hautes-Alpes mais la nuit devrait être claire. Le créneau de beau pour le lendemain est confirmé avant l'arrivée de la pluie par le sud en fin de journée. Nous convenons avec Serge de repousser le projet. Je le rappellerai dans la soirée pour proposer un plan de repli. Au vu des précipitations sur Grenoble, j'oublie Belledonne : il faut porter jusqu'à 1700 m et mis à part Chamrousse, les départs sont trop bas. C'est alors que me vient l'idée de l'Eau-d'Olle. Souvent, quand les précipitations viennent du sud, Belledonne est et les Rousses en profitent un peu. Sur la page web de la DDE, le col du Glandon est annoncé ouvert. Il n'a donc pas dû trop neiger là-bas. Ce peut être un bon compromis entre le nord, peu enneigé, et le sud, trop récemment arrosé et copieusement. Serge acquiesce. Rendez-vous pris à Vizille le lendemain matin et de là, on verra.

Le choix de la course. Je laisse tomber Belledonne est : les départs sont trop bas. Il reste le glandon. Connaissant assez bien le secteur d'Argentière, j'opte pour le versant Rousses au départ du barrage. Une balade dans la poudre du côté des Aiguillettes. Je n'ai jamais fait la course ; comme presque toujours j'essaye de faire des trucs nouveaux. Je n'ai pas de pneus-neige encore sur la voiture, aussi, si la route est un peu enneigée, il restera l'accès depuis Vaujany et la route du Sabot. Je passe chez Volodia le soir et lui fait part du plan du lendemain. Il propose de se joindre à nous.

Jour J. La Route. Le brouillard ne laisse apercevoir la chaîne des Rousses qu'à partir d'Allemont. Ca semble blanc. 15 centimètres au Rivier-d'Allemont. Le chasse-neige est juste devant nous. Le paysage est superbe ; on en profite. Coup de pelle pour faire sa place à Grand-Maison : il y en a quarante centimètres. Volodia commence alors à nous parler des quelques accidents qui ont eu lieu sur ces pentes et de son renoncement l'année précédente en novembre quelques 200 mètres sous le sommet. Cela ne remet pas en cause la course : on chausse et on démarre. Comme d'habitude : on verra sur place.

La course. Je n'ai pas grand chose à rajouter sur les récits (le mien et celui de Volodia) publiés sur nos sites web respectifs. Deux choses sont certaines :
1 - Volo a plusieurs fois mis en avant qu'il fallait se méfier de ces pentes mais sans suffisamment insister .
2 - Nous nous sommes rendus-compte qu'il y avait une plaque sous nos skis trois minutes avant qu'elle ne parte et il n'y avait pas à pinailler : d'abord s'espacer (c'était déjà le cas depuis le bas de la pente), et ensuite progresser un à un. Nous avions alors le choix entre redescendre ou s'échapper vers l'arête en espérant que ça tienne le temps de l'une ou l'autre des manœuvres. Rien ne dit que l'autre solution (nous avons décidé de rejoindre l'arête) n'aurait pas donné le même résultat. L'erreur était déjà faite.

 

Commentaires

1 - Nous le savons bien : le danger est présent partout et malheureusement, nous commettons tous des erreurs (que celui qui n'a jamais me jette la première pierre).

2 - Nous le savons aussi : il est plus facile de continuer que de renoncer quand on a un doute qui n'est pas assez fort ce qui était le cas 5 minutes avant de nous rendre compte que nous marchions, ou plutôt  "phoquions", sur des œufs.

3 - J'avais envie de sortir. J'étais en vacances depuis une semaine et je n'avais chaussé les skis qu'une seule fois alors que la neige était bien là.

4 - Au vu des conditions météo des jours passés et du bulletin de prévisions, rien ne laissait présager une telle chute dans ce secteur avant de partir, alors pourquoi ne pas aller y faire un tour même en connaissant le passé avalancheux de ce coin ? Dans tous les cas, l'attitude "pro" me semble être d'aller voir sur place et de renoncer en cas de doutes plutôt que de généraliser en s'interdisant tel ou tel endroit à partir d'un seuil de danger évalué à distance.

5 - Le principal problème est d'être capable de juger, sur le terrain, jusqu'où l'on peut continuer. Et compte tenu du caractère aléatoire de la stabilité de la neige... Il reste donc deux attitudes. Soit on fait comme les anciens qui pratiquaient le "ski de printemps" et l'on ne peut être ni professionnel de la montagne, au sens premier du terme, ni expérimenté amateur car on évolue sur un terrain limité, soit on accepte les règles du jeu avec la possibilité de se faire "nettoyer" par une plaque friable dans 20cm de poudre et en étant le centième skieur à descendre la pente.

6 - Dans la deuxième attitude, il y a bien sûr risques et risques. Entre le gars qui n'a pas de chance et celui qui se fait embarquer dans un mètre de poudre dans les pentes sommitales suspendues à 40° du Combeynot classique, il y a des tas de comportements différents je le conçois. Dans notre cas, nous aurions dû tout simplement renoncer au sommet avant la pente finale. Nous avions d'ailleurs rapidement décidé de ne pas aller aux Aiguillettes mais d'essayer Côte-Belle si nous pouvions trouver un bout de pente à peu près sûr pour finir. Ce jour-là, l'erreur que nous avons commis est uniquement de n'avoir pas tiré vers l'arête 50 m plus bas au niveau d'un bon replat.

7 - Volodia dit assumer pleinement la responsabilité de l'accident parce que le plus "ancien" et connaissant les lieux. Je reconnais personnellement avoir sous-estimé le danger sur ce bout de pente. Et pourquoi ? Anatole France disait :  "il est dans la nature de l'homme de penser sagement et d'agir de façon absurde". Je faisait la trace et je me sens le premier coupable. Si j'ai un peu paniqué dans la recherche de Serge, je pense que c'est en partie parce que je me sentais premier responsable du cataclysme.

8 - Beaucoup nous ont dit bravo pour le sauvatage. Mais si effectivement Volodia a été, pour moi une présence psychologique importante, je pense que de toutes façon, on n'a pas eu le choix. N'importe quel autre skieur qui a le matériel adéquat et qui sait s'en servir aurait fait la même chose. Tu cherches avec l'Arva comme t'as appris. Tu te rends compte que c'est plus long que ce que tu croyais mais tu t'en fous. Tu cherches. Puis tu creuses comme un dingue. Et là, ça va plus vite qu'à l'entraînement. Le reste (rapidité de la localisation précise à la sonde et survie du bonhomme en-dessous) ne dépend plus de celui (ceux) qui recherchent.

9 - Cette épreuve aura apporté un certain nombre d'enseignement à tous, mais c'est l'occasion de l'ouvrir sur autre chose. Pourquoi les alpinistes expérimentés se font souvent "avoir" lors de sorties "faciles" ? Est-ce un excès de confiance en se disant qu'après avoir engagé, que peut-il nous arriver sur des pentes débonnaires près de la voiture (ce qu'on pourrait appeler un excès d'enthousiasme) ? Est-ce une momentanée perte de bon sens due à la difficulté de renoncer ? Est-ce parce que l'on n'a pas suffisament peur ? Sans doute un peu des trois. Les malheureux accidents arrivés aux plus grands alpinistes comme Vallençant pour une histoire d'encordement sur une falaise école, Haston lors d'une rando à skis derrière la maison, Chantriaux lors d'un vol en parapente dans le briançonnais ou plus récemment De Chouldens sous une corniche sur un sommet d'acclimatation doivent nous faire réfléchir. Un débutant (sauf un inconscient bien sûr) n'oubliera pas de faire son nœud d'encordement, n'ira pas à Côte-Belle dans 80 de poudre. Garder tout son bon sens au Charmant Som comme à l'Infernet.

 

Merci à tous, votre soutien est précieux. Faites gaffe à vous et bonne saison de ski.