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ENCHAINEMENT DE SKI EXTREME Jean Bouchet - Lionel Tassan

Couloir Pélas-Verney, couloir nord du col du glacier Noir et couloir Dérobé du pic Coolidge dans les Ecrins. Avril 2001

Avril 2001 : les conditions semblent bonnes pour du grand ski dans les Ecrins. Jean me propose un enchaînement de trois couloirs du côté de la Vallouise. La boucle paraît superbe, esthétique et logique. Sans informations autres que notre connaissance du massif et notre pifomètre quant aux conditions de neige, nous partons donc ce 26 avril, accompagnés de Serge et Fabrice pour cette première journée. Après 5 minutes de portage depuis Ailefroide, nous chaussons les skis et attaquons le verrou de Clapouse qui permet d'accéder au vallon de Celse Nière. Un petit groupe nous a précédé. Ils partent en direction de la voie classique. Dans le verrou, la neige dure, assortie de surcroît à une bonne exposition ralentit la petite troupe.Nous prenons alors la direction des opérations : déchaussage puis montée directe skis sur l'épaule par un petit couloir. Le passage est rapidement avalé. Au replat de Clapouse, nous commençons à entrer dans un superbe paysage blanc, avec des quantités de neige impressionnantes. La suite se passe en peaux de phoques dans un décor contemplatif. Sous le collet de Rascrouset, l'orientation de la pente devient est, si bien que le soleil a déjà bien humidifié la neige. Premier coup de gueule de Jean qui se retrouve avec d'impressionnants sabots de neige sous les skis qui ralentissent sa progression. Heureusement, nous arrivons assez vite, malgré des sacs plutôt lourds, au replat sous le versant sud de la brèche Victor Chaud. Regroupement, ravitaillement puis attaque du petit couloir qui amène à la brèche.

Fabrice et Jean dans le vallon de Celse Nière.

 

L'imposante face sud toute plâtrée du Pelvoux.

Le contraste est saisissant. Au sud, des montagnes plutôt vallonnées et ensoleillées. Au nord, l'entaille monstrueuse du couloir Pelas Verney, dans l'ombre, avec pour toile de fond l'imposante face sud toute plâtrée du Pelvoux, le tout agrémenté d'un petit vent de nord bien désagréable. C'est là qu'il ne faut plus douter du projet. Jean remue le groupe impressionné par la corniche du versant nord. Il installe un relais et sonne le clairon. Sans sac et assuré du haut, je descends donc dans le couloir avec deux piolets pour tester la neige. Impossible de chausser sous la corniche : neige dure et un mètre de large entre les rochers, pente entre 50 et 55°. Je continue à descendre. Trente mètres plus bas, ça s'élargit, la pente reste dans un bon 50° mais la neige est meilleure. Une neige froide tassée recouverte d'un grain fin. Je taille une plate forme pour le départ et remonte sous la corniche. Une fois dans le vif du sujet, on se sent déjà plus à l'aise. "Ca va l'faire" me dis-je ! Fabrice est aussi plus rassuré que quand il a débouché le premier en haut du couloir où il avait lancé "Oula ! ça passe pas derrière !". Serge, toujours aussi calme, se contente de suivre l'installation. C'est alors que Jean me fait passer les deux sacs avec les skis (le sien et le mien) à l'aide de la corde. J'amarre son sac sous la corniche, récupère le mien et descends me préparer à la plate forme pendant que Fabrice et Serge se font mouliner dans le couloir. Jean désescalade le dernier la corniche et nous rejoint. "Encore un couloir qui va tomber aujourd'hui ! " nous lance-t-il ! Espérons que ce ne soit pas les mecs qui tombent !

Après un chaussage un peu délicat, c'est parti. Un peu d'hésitation, de dérapage puis le premier virage, le deuxième. Nous skions un par un car le goulet est étroit et le(s) skieur(s) aval doit(doivent) d'abord se mettre à l'abri des petites coulées provoquées par les virages. Les 200 mètres supérieurs sont aux alentours de 50°, pas très larges. Il faut donc assurer chaque virage. En dessous, la pente s'élargit d'un coup et notre équipe commence à attaquer peu à peu. Les conditions sont très bonnes et la partie centrale du couloir, encore à plus de 45° est avalée rapidement. Nous rejoingnons alors Fabrice qui était parti un peu avant nous, pressé d'en découdre mais aussi parce qu'il fallait bien désengorger l'entonnoir. Le couloir est maintenant à nouveau étroit, toujours raide (45°) mais une goulotte de plus en plus marquée le sillonne. Il faut choisir la bonne rive, parfois traverser la goulotte en prenant de l'élan. Heureusement, la neige reste bonne malgré une petit couche de neige glacée qui apparaît par endroit. Tout s'enchaine et, après un dernier coude, nous apercevons le bas du couloir. Contrairement à d'autres pentes qui démarrent gentiment dans les 35°, le Pélas Verney nous aura surpris à rester assez raide sur toute sa hauteur. Seuls les 100 derniers mètres tournent autour des 40°. Sur la carte, nous mesurerons une pente moyenne de 45° sur les 850m. A la base, nous tirons à gauche pour aller faire une pause au replat de l'Ouro. Celle-ci est écourtée : Fabrice et Serge qui prennent la direction de la descente veulent profiter de la neige encore bonne dans le vallon ; et puis, l'endroit est avalancheux.

Jean dans la partie supérieure du couloir Pélas Verney.

Grand moment au refuge d'hiver du Sélé.

D'ailleurs, le plus risqué de notre programme est sans doute le passage de la barre du Sélé. Nous la franchissons rive droite, à pieds en traversée puis, nous retirons les peaux pour optimiser l'accroche des skis. Avec la neige glacée et la pente de 40° au-dessus de barres, je ne suis pas rassuré. Nous en venons même à sortir le piolet pour assurer un passage. Ca y est. Nous débouchons au replat. Reste une vingtaine de minutes en peaux pour atteindre le refuge d'hiver du Sélé, tout de bois flambant neuf revêtu. C'est la pause tant attendue. Calme, que dis-je, silence total parfois troublé par les cris d'un accenteur alpin en quête de nourriture. Nous faisons sécher le matériel, nous faisons fondre la neige, nous buvons un thé accompagné de quelques gâteaux. Je prends quelques photos de cet endroit reposant puis nous profitons de la chaleur sur la "terrasse". Malheureusement, le soleil finit par disparaître derrière les Ailefroides et il faut se résigner à rentrer dans l'abri. Un repas gargantuesque nous attend le soir : salade composée, soupe, pâtes, fromage, pain, fruits. Rarement il m'a été donné de tant manger en montagne. C'est vrai que la journée a été longue : 2000m de dénivelé, une descente difficile puis une remontée dans la chaleur, le tout avec de bons petits sacs. Il faut donc bien les vider un peu !

Six heures. Le réveil nous arrache d'un profond sommeil. Quelle bonne nuit. La forme devrait être présente pour cette grosse journée qui nous attend. Rapide préparation et Jean enquille la montée au col du glacier Noir. J'ai du mal à réchauffer mes orteils engourdis par le froid. Mais tout finit par s'arranger lorsque nous rejoignons le soleil sous l'entaille du coup de Sabre. L'objectif apparaît alors à portée de main. Petit glacier, bossette à pied pour finir et hop, la vue s'élargit sur le glacier Noir et les Ecrins ! Comme la veille, un petit vent rafraîchit l'atmosphère. Cette fois, il n'y a pas de corniche mais le haut du couloir nord est pire que ce que l'on pensait : extrêmement raide (55° sur 50 bon mètres) et la neige est carrement béton. Pour moi, ça passe pas à skis là. Jean me rassure en me disant que lui non plus ne se sent pas de descendre skis aux pieds le haut de ce mur. Nous désescaladons donc le haut du couloir avec les piolets jusqu'à la fin du bombé. Ce début de descente nous prend du temps avec les skis sur le sac. Jean, qui n'a pas de piolet deuxième main et en général à l'aise dans ce type de terrain est loin de courrir. C'est bien la preuve que le haut de ce couloir est très raide et qu'il ne faut pas le sous estimer, bien au contraire, par rapport à ses voisins du Sabre et du Sans Nom. Pour chausser, c'est la misère. Nous enfonçons deux piolets jusqu'à la garde grâce au piolet marteau et nous nous vachons dessus.

La montée au petit matin au col du glacier Noir (versant sud)

Jean dans la descente du col du glacier Noir (couloir nord)

Les premiers virages sont hâchés, entrecoupés de dérapages tant la neige est dure. La pente est forte, aux alentours des 50°, rarement moins et Jean s'exclame de faire du sale boulot. Mais bon, vaut mieux assurer la viande plutôt que d'enchaîner des virages risqués. Enfin, arrivés à mi-hauteur, nous trouvons une neige un peu moins ferme. C'est la libération. La confiance est bien là. Le couloir s'enchaîne vite jusqu'à la rimaye. Un petit saut et nous voilà sur le glacier noir. Avec la neige rencontrée, il est difficile d'être objectifs mais ce couloir nous aura paru très raide. La pente nous a semblé constamment dans le 50° ou à peine moins.

Au glacier Noir, nous faisons une pause pour nous ravitailler. C'est à ce moment que je me retourne pour apercevoir la fantastique barrière de faces nord. Quelle impression. A droite, l'Ailefroide et son glacier suspendu. Puis le col du glacier Noir d'où nous sommes descendus. Le Coup de Sabre et son entaille caractéristique. Puis le pic Sans Nom protégeant son couloir nord-ouest. Les fois précedentes où je suis venu dans ce cirque, les faces m'ont apparu peu à peu au fur et à mesure de la montée, sans surprise. Cette fois, c'est d'un seul coup, en me retournant, que je les aperçois. C'est vraiment saisissant. C'est alors qu'à peine posés, Jean propose de repartir. "Sinon, on va se démotiver et on va pas aller au Dérobé dit-il !". Je le laisse partir et faire la trace en finissant de manger et d'alléger au maximum le sac. C'est péniblement dans la chaleur mais dans ses traces que je le rejoins à la brèche qui donne accès au couloir. Jean a fait fondre de la neige. On boit un thé puis on discute de la conduite à tenir pour entrer dans le couloir.

Les couloirs du glacier Noir. A droite, "le notre".

Couloir Dérobé, partie inférieure. Le mauvais temps nous a rattrappés.

"Y'a une corniche surplombante" me dit-il. "Impossible à passer en solo, il va falloir installer un rappel". Oui mais voilà, rien ne s'y prette vraiment. Nous optons pour la dernière solution : le corps mort dans la neige. Jean installe un solide amarrage puis je me lance dans le passage sans trop attendre car des nuages envahissent le ciel. C'est impressionnant. 20 mètres sous la corniche, on peut chausser : pente à un peu plus de 50°, neige poudreuse tassée, 4 mètres de large. Le sourire revient. La fatigue, surtout dûe à la tension nerveuse de la descente du col du glacier Noir commence à se faire sentir. Rapidement, il faut se rassurer ? Et hop, j'enquille tout de suite un virage. Mais il faut vite se résigner à déraper car le passage est étroit (parfois moins de 3mètres) entre les rochers. Un peu plus bas, lorsque la pente commence à s'élargir, la descente se poursuit calmement car contrairement aux apparences, la pente reste très raide. De temps en temps, il faut même surveiller quelques purges de la rive gauche. Le couloir est long, nous décidons même d'y lancer la corde pour nous alléger "On la retrouvera bien plus bas ! " Surprise en arrivant au bas du couloir (en fait, j'étais au courant mais je n'y avais pas pensé et c'est tant mieux) : le couloir débouche sur une barre rocheuse de trente mètres. Pour sortir, il faut traverser une contre-pente très raide sur la gauche, glacée ce jour-là qui plus est, pour trouver un petit couloir à 50° qui ramène au bas de la face. Ca y est. Nous franchissons la rimaye alors qu'il commence à neiger.

L'enchaînement est réussi même si nous n'avons pas skié le tout début du col du glacier Noir. Pressés de rentrer, nous enquillons à toute pompe la descente pour rejoindre le pré de Mme Carle en quinze minutes. Un peu de skatting puis un slalom entre les mélèzes nous ramène à un kilomètre d'Ailefroide. Nous finissons à pied sur le bitume de la petite route, fatigués mais ô combien heureux de ce magnifique voyage à travers une petite partie des Ecrins, massif à la fois tout près et si loin d'une vie bien organisée.

 

Ci-contre : un tour du Pelvoux plutôt original !

(en rouge, les couloirs)

Fiche technique :

- Couloir Pélas Verney (850m) : 50°/200, 45°/800 (5.3/E2/AD+)

- Couloir N du col du Glacier Noir (400m) : 50°/350 (5.4/E2/D-)

- Couloir Dérobé (550m) : 50°/400 (5.4/E3/D-)

Dénivelés : J1 : +2050/-950, J2 : +1250/-2350